Vous ne le connaissez probablement pas, et pour cause, il n’existe que très peu d’images de ses exploits. Ses admirateurs l’ont affublé du surnom de « The Greatest Footballer you never saw » (le plus grand joueur que vous n’avez jamais vu). En Angleterre, sa légende perdure à travers les récits des historiens du foot et de ceux qui l’ont côtoyé. Un mythe bien réel qui s’est construit dans les ligues inférieures anglaises, à base de buts, mais aussi de drogue, d’alcool et de provocations…
Robin Friday est né en 1952 à Acton, un quartier du nord-ouest de Londres. Tout jeune déjà, il attire l’attention des meilleurs clubs de la ville. À l’âge de 12 ans, il intègre l’académie de football de Crystal Palace qu’il quitte d’ailleurs très rapidement. Il enchaîne avec de courtes expériences aux Queens Park Rangers et à Chelsea. Une instabilité chronique qui s’explique par son incapacité à se plier aux consignes de ses entraîneurs. Après ces quelques aventures peu concluantes, il retourne dans l’équipe de son quartier, quitte l’école et s’essaie à divers métiers comme plâtrier ou laveur de carreaux. Mais dès l’âge de 15 ans, Robin se drogue et commet régulièrement des vols. Il est condamné à plusieurs reprises et à l’âge de 16 ans, il écope d’une peine de 14 mois d’enfermement dans le centre de détention pour mineurs de Feltham Borstal. Là-bas, il n’abandonne pas pour autant le football. Son talent lui permet même d’être sélectionné dans l’équipe des all-stars de la ligue de football des prisons, et il est autorisé à sortir de manière exceptionnelle pour s’entraîner avec l’équipe des jeunes du Reading FC.
À sa sortie de prison, Friday se marie et signe un contrat de 10 livres par semaine avec Walthamstow Avenue, un club qui évolue dans une ligue de football mineure. Après avoir inscrit un doublé contre le Hayes FC, il est débauché par ses adversaires pour 30 livres par semaine. S’il réalise de bonnes prestations sur le terrain, il fait aussi beaucoup parler de lui pour sa consommation excessive d’alcool. Lors d’un match de championnat, il se présente au stade, totalement ivre, 80 minutes après le coup d’envoi. Convaincu du talent incroyable du jeune homme, son entraîneur le fait tout de même entrer pour les 10 dernières minutes. Il est tellement alcoolisé que ses adversaires ne prêtent que très peu attention à lui. Bien mal leur en a pris, puisque c’est lui qui marquera le but vainqueur de la partie !
Le 9 décembre 1972, le Hayes FC affronte le Reading FC à l’occasion du second tour de la FA Cup. Malgré la défaite de son club, Friday est repéré par l’entraîneur de Reading qui décide de l’engager en dépit de toutes les rumeurs qui circulent à son sujet. Friday avait alors le choix de signer avec l’équipe professionnelle de Watford en troisième division, mais il préfère rejoindre Reading à l’étage inférieur et conserver un statut d’amateur afin de continuer à travailler dans le bâtiment avec ses copains.
Ses débuts à Reading sont étincelants. Il ne garde d’ailleurs pas très longtemps son statut amateur. Lors de son premier match en professionnel le 10 février 1974, il inscrit 2 buts et participe à la victoire 4-1 de Reading sur Exeter City. Le Reading Evening Post a décrit sa performance comme de la « pure magie » ! Alors que le Reading FC était bien mal en point en championnat, Friday métamorphose le jeu de son équipe qui se remet à gagner.Élu Meilleur joueur du club par les supporters de Reading, il termine la saison 1974/1975 meilleur buteur du club avec 20 buts. Il enchaîne une seconde saison à 22 buts et participe activement à la montée de son club en 3e division. Arsenal, Sheffield United et Cardiff City ont à présent un oeil sur lui, mais le Reading FC n’est pas encore prêt à lâcher sa pépite.
L’un de ses exploits les plus marquants a lieu le 31 mars 1976. Lors d’un match contre Tranmere Rovers, Robin Friday réceptionne une transversale à 35 mètres du but. Il contrôle le ballon de la poitrine, et enchaîne avec une volée du pied droit qui se loge dans la lucarne du gardien adverse. C’est l’arbitre de la rencontre, Clive Thomas, qui en parle encore le mieux : « Je n’oublierai jamais ce but. C’est surtout la férocité de cette reprise de volée. Si le ballon, au lieu d’aller en lucarne, avait frappé les montants, il les aurait brisés. Même comparé à Pelé ou à Cruyff, il s’agit du plus beau but que j’ai vu. ». Lorsque l’homme en noir est venu lui-même féliciter le joueur après la rencontre, Friday lui aurait répondu « Vraiment ? Vous devriez venir ici plus souvent, je fais ça chaque semaine. ».
Robin Friday s’entraînait comme il jouait. Sans aucune retenue et de manière très agressive. Dès sa première séance d’entraînement à Reading, son manager, Charlie Hurley, a été contraint de le faire rentrer au vestiaire suite à des blessures qu’il aurait infligées à deux ou trois de ses co-équipiers. Friday donnait des coups, mais il en recevait aussi beaucoup. Il possédait d’ailleurs une résistance physique hors du commun et avait la particularité de jouer sans protège-tibias. Peu importe les coups qu’il recevait, il se relevait toujours, prêt à retourner au combat ! Il avait aussi un style bien à lui, affrontant le plus souvent les défenses en solitaire. Il était capable de dribbler 5 joueurs à lui seul avant de se présenter seul devant le gardien. Lorsqu’il réussissait un petit pont, il se retournait pour éclater de rire au nez et à la barbe de ses adversaires, quand il ne baissait pas son short pour leur présenter son postérieur… Ses provocations outrancières lui ont valu de nombreuses expulsions. La plus célèbre d’entre elles se serait produite après qu’il ait dribblé toute l’équipe adverse, gardien compris. Il se serait retourné pour demander une fellation au portier adverse, puis aurait stoppé le ballon devant la ligne, avant de s’agenouiller et de pousser le ballon avec sa tête dans le but vide.
Mais Robin Friday avait avant tout une seule obsession : gagner, et cela par tous les moyens ! Il usait de tous les artifices pour déstabiliser ses adversaires : intimidation physique, crochet du droit, massage des testicules, bisous dans le cou… On l’a souvent qualifié de joueur méchant, mais Friday n’en a cure : « Sur le terrain, je déteste tous les adversaires. Je me fous de qui est en face de moi. Les gens pensent que je suis fou, un lunatique. Non, je suis un gagnant ! ». Sa combativité sur le terrain lui a permis de bénéficier d’une certaine indulgence de la part de ses co-équipiers quant à ses comportements extrasportifs. Mais tous ne voyaient pas d’un très bon oeil les excès de Friday. Il faut dire que ses frasques ne passaient pas inaperçues. Il s’est vu interdire l’accès de la plupart des bars et des boîtes de nuit de la ville. Ivresse, coucheries, dégradation, exhibitions sexuelles, Robin Friday s’est taillé une réputation de voyou à Reading. Lors de ses sorties nocturnes dans les établissements de la ville, il avait notamment inventé une danse appelée « l’éléphant » qui consistait à retourner les poches de son jean et à ouvrir sa braguette pour en sortir son pénis… On raconte que Friday passait ses journées à boire et à fumer au pub avec ses amis. Il était aussi connu pour consommer du LSD et écouter les disques de Led Zeppelin, volume à fond, dans son appartement. Au grand désespoir de ses voisins ! Paolo Hewitt, co-auteur du livre The Greatest Footballer You Never Saw: The Robin Friday Story, affirme que si « Georges Best était la première pop star du football, Robin Friday en était assurément la première rock star ». Il possédait tous les vices que l’on attribue communément aux stars du rock des années 1970.
Au cours de l’été 1976, il divorce officiellement avec sa femme Maxine Doughan, et se remarie 3 jours plus tard avec Liza Demiel, une jeune femme diplômée de l’université de Reading. À cette occasion, les amoureux organisent une cérémonie qui réunira plus de 200 personnes. L’alcool et la drogue sont aussi de la partie. La soirée se termine en bagarre générale tandis que les invités s’éclipsent en dérobant la quasi-totalité des cadeaux de mariage, parmi lesquels une grande quantité de cannabis…
Lorsque la saison 1976/1977 démarre, Robin Friday est hors de forme. Il rate de nombreux entraînements, et sa consommation excessive d’alcool et de stupéfiants l’empêche de maintenir le niveau qui était le sien. Lassé des péripéties de son joueur, le Reading FC est, cette fois-ci, bien décidé à s’en débarrasser. Deux clubs de première division se montrent intéressés (Queens Park Rangers et West Ham United), mais ils renoncent par crainte de ne pas réussir à gérer le caractère problématique du joueur. Il est finalement transféré en cours de saison à Cardiff City en deuxième division anglaise.
Au moment de son arrivée à Cardiff, Friday est arrêté par la police des chemins de fer britanniques pour avoir voyagé sans titre de transport. C’est Jimmy Andrews, le manager de Cardiff City, qui doit le récupérer au commissariat pour lui faire signer son contrat. Dès son premier match, Friday inscrit un doublé contre le Fulham de Bobby Moore. Mais après des débuts tonitruants, il est une fois de plus rattrapé par ses vieux démons. Il sèche les entraînements et réalise une saison globalement catastrophique. Pourtant le public de Cardiff continue de lui apporter son soutien. Malgré ses performances décevantes, il répond toujours présent dans les moments importants.
Le 16 avril 1977, alors que Cardiff reçoit Ludon Town dans un match décisif dans la lutte pour le maintien, il se chauffe avec le gardien adverse Milija Aleksic. À la 36e minute, il est sanctionné d’un carton jaune pour une charge irrégulière sur le gardien anglais. Friday s’excuse auprès de son adversaire et lui tend la main, mais ce dernier la refuse. Un geste d’humeur qui ne sera pas du goût de Friday qui va immédiatement répondre. Dès la reprise du jeu, il subtilise la balle dans les pieds du défenseur John Faulkner avant de dribbler le gardien et de pousser le ballon dans le but vide. En signe de provocation, il adresse à sa victime du jour le signe V, qui est l’équivalent du doigt d’honneur chez les Anglais. Cardiff remporte le match 4-3 et parvient à se maintenir en deuxième division. Cette célébration est restée célèbre en Angleterre, et a été immortalisée en 1996 sur la pochette du single The man don’t give a fuck du groupe de britpop gallois Super Furry Animals.
La saison suivante, Robin Friday ne se présente pas à la reprise de l’entraînement. Il réapparaît en octobre et prétexte une hépatite. Il semblerait qu’il ait en réalité passé plusieurs semaines en prison après s’être fait passer pour un policier dans le but de se procurer de la drogue. Il rechausse à nouveau les crampons le 29 octobre 1977 pour un match contre Brighton & Hove Albion. Agacé par le marquage intensif du défenseur Mark Lawrenson, il le tacle violemment, puis lui donne un coup de pied au visage alors que son adversaire est encore à terre. Il est logiquement expulsé par l’arbitre. Une rumeur raconte qu’avant de rejoindre son vestiaire, il aurait fait un détour dans celui de Brighton pour déféquer dans les chaussures de Lawrenson. Pour le manager de Cardiff, cette expulsion stupide est le dérapage de trop. Friday est placé immédiatement sur la liste des transferts. Après avoir purgé 3 matchs de suspension, il est à nouveau aligné dans l’équipe à l’occasion d’un match contre Bolton perdu 6 buts à 3. À la fin de la rencontre, il annonce à son entraîneur son souhait de prendre sa retraite, à seulement 25 ans ! Le club saute sur l’occasion et le libère de son contrat.
Une pétition est signée par 3000 supporters de Reading afin de faire pression sur le nouveau manager, Maurice Evans, pour recruter Robin Friday. Mais le joueur ne reviendra plus sur sa décision. Après avoir divorcé de sa seconde femme, puis d’une troisième, Robin Friday retourne vivre quelque temps chez ses parents. Il se trouve ensuite un logement social grâce à une association d’aide aux personnes en difficulté, puis est retrouvé mort le 22 décembre 1990, suite à une crise cardiaque, possiblement provoquée par une overdose d’héroïne. Il avait 38 ans.
En 2004, un sondage organisé par la BBC auprès des supporters de tous les clubs professionnels anglais a élu Robin Friday « meilleur joueur de l’histoire » de Reading et de Cardiff City. Il est le seul joueur à avoir été élu par les supporters de deux clubs différents. Sa biographie écrite en 1998 par Paolo Hewitt et Paul McGuigan (le bassiste du groupe Oasis) a été un best-seller en Angleterre. Un biopic sur la vie de Robin Friday avec Sam Clafin (Hunger Games, Peaky Blinders) dans le rôle principal a même été annoncé en 2015, mais le projet semble à présent au point mort. Jimmy Andrews, son entraîneur à Cardiff a plus tard dit de lui qu’il était aussi fort qu’Alan Shearer.
L’immense talent de Robin Friday aura, malheureusement, été éclipsé par son penchant pour l’auto-destruction. Il est très difficile de savoir si tout ce qu’on raconte sur lui est vrai. Dans les années 1970, les matchs de football des divisions inférieures n’étaient pas régulièrement filmés comme aujourd’hui. Et on ne trouve pas non plus énormément de documentation de l’époque concernant le joueur. Mais c’est cela aussi qui rend fascinant le mythe autour de Robin Friday : le plus grand joueur que vous n’avez jamais vu…
Vous pouvez retrouver ce portrait parmi beaucoup d’autres dans le livre Bad Boys Football Club de Benoît SERRA.